Rapidement, la régularité, le côté plein et creux de la tapisserie ne lui suffit plus: ce qui l'intéresse, c'est la déformation: elle recouvre d'argile,martèle, martyrise le tissage qu'elle raidit laissant voir les bourrelets de la couture qui rappellent la peau et les cicatrices comme des scarifications ethniques: voilà la série des Toiles Battues.
En même temps, son tissage prend du volume,s'enroule, devient sculpture: ce sont les Armures: façonnées, modelées, pigmentées, travaillées jusqu'à l'extrême délicatesse, ces assemblages, tels des sentinelles du passé nous observent et témoignent d'une mythologie personnelle de l'artiste qui laisse libre cours à notre imaginaire.
Et puis voici la série des Linges. Ces chemises enfantines étirées à l'extrême, voilées sous les couches d'argile, parfois pigmentées de manière monochrome ou frottées de couleurs pâlies et évanescentes, semblent disparaître à la surface de la toile, ne laissant qu'une trace en filigrane, témoignage émouvant de vie anonyme.
Nadine Altmayer récupère des draps anciens, déchirés, usés: voici les Loques,morceaux de vie rigidifiés, avec leurs plis qui se superposent tels les strates d'une pierre de craie.L'accumulation de ces loques suit une géométrie qui nous dépasse mais elles nous émeuvent de tous les souvenirs, toutes les mémoires dont elles sont dépositaires.
Enfin, voilà la série Rouges de Venise; le tissage évolue, il se déforme comme broyé par une main invisible. Nous voilà dans la couleur du sang, de la vie, du corps, mais est-il question d'autre chose depuis le début? C'est bien de corps dont on parle, un corps absent qui a laissé sa trace rigide dans le tissage et dont il ne reste plus, là, que des fragments.
"Toute oeuvre d'art est l'enfant de son temps et bien souvent la mère de nos sentiments" disait Kandinsky; Et bien abandonnons nos préjugés, quittons notre vision conventionnelle et laissons-nous aller: les oeuvres de Nadine Altmayer, ces "enveloppes du corps" sont envoûtantes,précieuses et rares.
Elisabeth Lhuilier.